Murmures lisboetes : d’Eduardo à Raoni par Anne Chauveau
La main gauche d’Eduardo effleure le mur. Le crépi est devenu matière vive. Quelques pressions légères sur le spray de peinture : ultimes touches de blanc pur dans le vert intense pour densifier encore le regard de Raoni. A moins de 50 centimètres de la bombe de peinture qui le souligne, l’œil du grand chef Kayapo est démesuré. Il semble fixer chaque geste de l’artiste. Sous son chapeau, Kobra lui, est imperturbable. Comme guidé par un dessein connu de lui seul et qui lui ferait voir, en même temps, le plus infime détail et l’ensemble gigantesque de son travail.Pourtant, combien de fois est il monté puis descendu, puis remonté puis redescendu de la nacelle où il s’est perché cinq jours plus tôt pour exécuter cette nouvelle œuvre monumentale ? “ C’est seulement comme ça que je peux mesurer l’effet d’une ombre, d’un trait, le jeu de la lumière naturelle sur le mur selon l’heure du jour et la couleur du ciel”.Nous sommes à Lisbonne. Quartier populaire de Marvila. A l’est de la ville. C’est ici que se sont posés ce printemps les artistes du Muro, Festival d’Art Urbain LX’17. Une initiative de l’Union des Villes Capitales ibéro-américaines et de la Mairie de Lisbonne sur le thème de l’identité culturelle ibéro-américaine.
Tous semblables, les pignons nord des immeubles s’alignent comme à la parade, dos au Tage, sur des cimaises invisibles suspendues au ciel. Parmi les tableaux de cette galerie urbaine à ciel ouvert, celui d’Eduardo Kobra. L’artiste de Sao Paulo, connu dans le monde entier pour le stupéfiant réalisme de ses personnages célèbres et engagés, et pour son style haut en couleur, a choisi d’offrir à Lisbonne un portrait de Raoni. Raoni couronné d’or. “Habituellement, sa coiffe est jaune. Alors je l’ai appelé. Il était d’accord pour que je le représente sur ce mur et aussi pour changer le jaune par de l’or. Je lui ai expliqué que c’est pour mieux capter le soleil et illuminer le mur” souligne Eduardo. Il est près de 15h00, Eduardo appose sa signature à l’œuvre qu’il achève. Le soleil et l’or de l’indien du Brésil éclaboussent le quartier tout entier. Etrange et fascinant télescopage entre l’Amazonie sauvage et cette banlieue urbaine.
Figure internationale emblématique de la lutte pour la préservation de la forêt amazonienne, de la culture indigène et de la cause environnementale contemporaine, ce symbole brésilien s’il en est, prend un écho tout particulier sur la terre lisboète. Par le prisme technicolor, le traitement kaléidoscopique, l’effet quasi psychédélique et le regard hypnotique de Raoni, Kobra nous projette dans le temps et l’espace. Nous voici en 1500. La grande flotte de 13 navires commandée par Pedro Alvares Cabral découvre le Brésil. Cet aller et retour entre les siècles et d’un continent à l’autre ravive la mémoire conquérante de la ville et du Portugal. C’est là l’hommage XXL d’un brésilien à ses racines plurielles, livré au quotidien des habitants de ce quartier. Et aux regards avides et émerveillés des chasseurs de street-art. Un art à part entière dont Lisbonne est devenue capitale et ambassadrice.