Matin d’octobre 2015, dans les montagnes de Taliouine
Il est tôt, très tôt ce matin là.
La lumière bleutée de l’aube nimbe encore les reliefs d’ocre.
Bientôt le ciel va s’embraser d’un jour nouveau.
JOUR DE RÉCOLTE
Sur le sol perle la rosée. Des milliers d’éclats scintillants balayés par les jupes des femmes qui
déjà se pressent vers les champs.Les silhouettes se dispersent selon un mystérieux dessein,
avant de se poser sur l’immense tapis mauve que caressent les premiers rayons du soleil.
Bleu, rose, orangé : chaque seconde la lumière change. Et avec elle, le fascinant tableau qui
se joue autour de moi. La terre se réchauffe, se réveille, je sens son parfum. A la fois brut et
suave.
Le dos courbé, la tête couverte de foulards aux teintes vives, par dizaines les femmes
s’activent. Leur geste est vif, précis, élégant, et ne laisse rien paraître de la dureté de leur
labeur. Près d’elles déjà s’emplissent des paniers d’osiers colorés du délicat crocus. Des
abeilles virevoltent, avides de partager cet odorant festin floral. Le signe pour les cueilleuses
qu’il faut encore accélérer le mouvement.
Je suis cet étrange ballet, traverse les champs pour m’approcher de l’un d’elle, puis d’une
autre. Sans la déranger, sans froisser sa pudeur et en prenant garde de ne pas piétiner les
précieuses fleurs qui nous rassemblent ici. Trésors éphémères et si fragiles. Les poignets
habillés de bracelets aux reflets d’or, les mains maculées de jaune et de rouge des
inestimables pistils, elles s’interpellent et rient de me regarder ainsi m’agiter. Les rires fusent
quand je fais bouger mon appareil pour ajouter du mouvement aux mouvements.
La fabuleuse histoire de l’or rouge du Maroc se poursuit autour des paniers débordants de pétales mauves où d’autres doigts experts séparent les pistils des fleurs sous l’oeil attentif du Hadj.
Je partage avec lui une tasse de thé brûlant et du miel. Son visage buriné et
parcheminé de mille vies raconte à lui seul ces montagnes reculées, intactes et vraies. Un
autre espace-temps. Si loin des tumultes de notre 21ème siècle.
Après Amouage, le parfum ultime qui m’avait transporté à Oman, c’est ici une autre vision
de l’Orient et des femmes par une production d’exception, le safran de l’Atlas ».