Yan Pei-Ming, le geste économe en parole. Par Arnaud Morel
Yan Pei Ming s’impose comme l’un des plus importants peintres contemporains, un
portraitiste hors norme, dont le coup de brosse se reconnait au premier regard. Des
toiles, souvent de grandes dimensions, qui concentrent une émotion focalisée sur le
regard, frontal, de leurs sujets. Des anonymes, des leaders, des prostituées, des stars,
des morts… Ming peint comme un forcené, mû par la conscience absolue que ne pas avancer, progresser, c’est reculer. Et cette volonté inébranlable contraste avec l’apparence de l’homme, rond, nonchalant, posant un regard impavide sur ce qui l’entoure. « Je n’attends pas d’avoir envie de peindre, sinon je ne peindrais jamais. Je travaille presque chaque jour, je travaille énormément, c’est le prix à payer ».
N’imaginez pas que ce volontarisme prenne source dans un égo surdimensionné ou des
ambitions mercantiles. L’artiste demeure pleinement conscient des limites de l’homme –
« je suis un minable, c’est pour ça que je m’intéresse à la grandeur », aime-t-il répéter –
et sa réussite financière exemplaire n’est que la conséquence de son moteur intime, de
sa volonté de marquer de son empreinte l’histoire de l’art, d’être parmi « les plus grands
peintres contemporains ».
Aussi, lui qui a développé seul un art tout personnel, élaboré sans relâche un style
unique, associant l’énergie d’une peinture frappée, claquée à toute force sur la toile,
réalisée à l’aide de larges brosses, avec une finesse incroyable dans la lecture des traits
structurants d’un visage, se tourne-t-il de plus en plus vers les grands maitres, pour se
hisser à leur niveau et, d’égal à égal, réinterpréter leurs oeuvres. Velasquez, David, Van
Gogh, Jackson Pollock, Ming veut se frotter à tous.
À 57 ans, Yan Pei Ming, homme de peu de mots, laboure son sillon, qu’il irrigue du
talent de ses prédécesseurs, où il sème des idées puisées dans l’actualité, les
rencontres, les hasards, les peines. La floraison ne fait que commencer mais elle est
déjà bouleversante.
Il représente le lien d’un chinois avec son pays natal, qu’il a quitté sans identité réelle au
départ. Le portrait de Mao recréé cette identité. Mao était encore un objet de révérence,
pour les anciens soixante-huitards, qui avaient alors 30 ans quand j’en avais 20 lors de
mes débuts en France. En Chine, tous les enfants étaient un peu maoïstes, c’était une
éducation généralisée, les enfants de la révolution culturelle. Mais pour moi il ne s’agit ni
d’hommage, ni de critique, simplement d’un élément d’identification. Il n’y a aucune
figure au monde qui ait été autant représentée que Mao. N’importe quel lieu public
devait exposer un portrait de Mao, c’était l’image la plus familière. Arrivé en France, ça a
été pour moi comme un truc de transit.
« C’est en Chine que j’ai posé les bases de ma passion. J’ai créé avec un prof au lycée de
Shanghai un atelier d’art plastique. J’ai toujours aimé dessiner, ça me plait. J’étais
délégué en art plastique dans ma classe. Rien d’extraordinaire, il s’agissait
essentiellement de ramasser les feuilles, de distribuer le matériel et de 30 à 40 minutes
de cours par semaine. Je suis parti à 20 ans, un an après le lycée et je suis arrivé à
Dijon deux mois plus. Je suis venu ici pour faire une école de Beaux arts, je l’imaginais à
Paris. Plus tard, je suis retourné dans mon pays natal, où j’ai fait une exposition en
2005, pour l’année de la France en Chine. On a monté l’exposition avec Xavier Douroux
et Franck Gautherot, quel régal, c’était passionnant ».
Fin octobre est sorti un très luxueux ouvrage consacré au peintre dijonnais, sobrement
intitulé « Yan Pei-Ming ». Sur 352 pages, la mythique librairie new yorkaise Rizzoli
retrace la carrière de l’artiste à travers une vaste sélection de ses oeuvres. « Il y a
presque la moitié de mes peintures dans ce livre », se félicite Ming. L’ouvrage, préfacé
par le curateur d’art Francesco Bonami, constitue l’approche la plus complète à ce jour
sur le parcours de cet immense portraitiste. En attendant le catalogue raisonné
totalement exhaustif.